Petite histoire médicinale du thé. |
Avec la collaboration du Docteur S.Brangeon, médecin généraliste.
Pour les numéros à venir je vous proposerai cette rubrique qui traitera de l'évolution des connaissances scientifiques et techniques concernant les effets physiologiques de la consommation du thé, à la fois sur la santé et sur le «bien-être», donc au sens large du terme.
Pour cela il sera fait appel à différentes disciplines ou pratiques comme l'histoire, la médecine, la gastronomie, la botanique et les traditions thérapeutiques notamment. En effet de nombreuses recherches scientifiques à travers le monde sont entreprises pour déterminer l’interaction entre la consommation de thé et le bien-être, voire une meilleure ou une bonne santé.
27 siècles avant notre ère un célèbre recueil chinois, attribué au mythique empereur Shen Nong (2737 avant J.C.), le «Bencao Jing» mentionne l'usage du thé comme un «remontant» ; il traita des vertus du thé mais aussi de centaines d'autres plantes (6). Autre vertu reconnue par les Chinois : le thé a l'avantage de ne pas entraîner l'ivresse. Outre les propriétés stimulantes du thé, on y eut très anciennement recours afin de neutraliser les eaux insalubres en les faisant bouillir avant d’ajouter les feuilles. En effet faire bouillir l'eau supprime théoriquement bactéries et virus. En Chine la consommation de thé s'inscrit dans une pratique médicale faisant largement appel aux plantes dites médicinales (herbs). |
La diffusion du thé vers l'Occident ne s'est opérée qu'à une date tardive. C’est seulement au XVIe siècle que l'existence du thé fut révélée à l'Europe par des missionnaires portugais et des voyageurs revenus d'Extrême-Orient.
En 1641, en Hollande, le médecin Tupius signalait les propriétés toniques du thé. Ce remède pareil à beaucoup d'autres ne guérissait guère mais il avait l'avantage d'être agréable à consommer et fut vite adopté pour un motif analogue à celui qui l'avait fait adopter en Chine : le besoin de rendre potable les eaux marécageuses et malsaines des Pays-Bas. Cette propriété est toujours d'actualité pour de nombreuses populations à travers le monde qui n'ont pas encore accès à l'eau potable.
Au XVIIe siècle le thé n'avait pas encore rencontré un grand succès en France. C’est le roi Louis XIV qui fut un des premiers amateurs ainsi que le chancelier Séguier qui en faisait grand cas. Dans une lettre datée de 1648, Guy Patin raconte qu'un docteur en médecine voulant faire sa cour à ce personnage soutint dans une thèse que cette boisson donnait de l'esprit. Cette thèse fut désapprouvée par tous les docteurs et les plus ardents la brulèrent (2). Néanmoins, en dépit de l'hostilité de la faculté, le thé trouva progressivement des amateurs. L'inventaire du mobilier de la couronne de 1673 désigne la théière «la petite marmite tant au thé qu'aux bouillons altératifs». Ce n'était donc encore qu'un ustensile médical (2).
Mais c'est surtout en Angleterre que le thé s'imposa rapidement comme la boisson nationale.
Au XVIIIe siècle en France dans Le médecin des Dames (page 76) il est dit du thé : «cette boisson dessèche les fibres et affaiblit l'estomac, lorsque l'on est à jeûne, ou qu'il y a du temps qu'on a pris de nourriture. Les effets nuisibles du thé seraient bien plus sensibles en France, si nous avions cette feuille munie de toutes ses vertus ; mais les Hollandais ont la sage précaution de ne nous l'envoyer diminuées de ses parties les plus actives, en lui faisant subir une première infusion». Enfin il est indiqué que cette boisson «ne convient pas aux jeunes personnes» (1).
Le XIXe siècle voit le début de vrais travaux scientifiques se focalisant sur les constituants du thé. Oudry en 1827 isola un alcaloïde dans le thé de Chine qu'il dénomma théine.
En 1820 un savant allemand O. Runge découvrit la caféine du café, un alcaloïde aussi. C’est un peu plus tard qu’il fut démontré que c'était la même molécule. Cet alcaloïde, de la famille des méthylxanthines, présent dans de nombreux aliments, n'est d'ailleurs pas spécifique au thé ou au café mais se trouve dans de nombreuses autres plantes, dont les plus couramment consommées sont les graines du cacaoyer, du guarana et les feuilles du maté.
Entre 1840 et 1860, autre découverte capitale, on isola des tanins également présents dans de nombreuses plantes. (8) Cependant la relation entre les principaux constituants du thé et leurs effets physiologiques est appréciée diversement par la faculté.
Ainsi au XIX et en début du XXe siècle le thé est considéré de différentes manières dans les ouvrages d'automédication. Pour le Docteur Dubois «le tanin ou acide tannique a une action irritante sur l'estomac. Il (le thé) contient aussi en outre des alcaloïdes qui sont la caféine, la théine qui agissent sur le foie de façon désastreuse» ! (3) Pour le Docteur Dehaut les inconvénients sont moins évidents puisque «dans les grandes chaleurs une infusion très légère de thé prise froide et sans sucre constitue une très bonne boisson. Par contre si l'on exagère on s'expose à ressentir des douleurs à la vessie» (4).
Le nouveau Larousse médical de 1952, plus proche de nous, indique que «la fleur et la feuille de thé sont recommandées dans les cas d’indigestions, de diarrhées, chez les dyspeptiques, dans les moments d'affaissement.» Les contre-indications sont optiquement identiques : «névropathies cardiaques, à cause de l'excitation excessive, goutte et lithiase rénale, en raison de l'abondance de l'oxalat (oxalate de potasse)». On y fait mention également du théisme qui est l'abus de thé : il provoque des palpitations (extra-systoles), accès de fausse angine de poitrine, troubles nerveux (tremblement, céphalées, mouvements convulsifs, tendances syncopales, troubles mentaux (abattement anxiété) (7).
Le Larousse médical de 2004 ne mentionne plus que la théophylline ! (5) qui est indiquée contre l’asthme.
Dans le prochain numéro nous parlerons des constituants du thé.
Bibliographie :
1 Anonyme-1771-Le médecin des dames ou l'art de les conserver en santé. Vincent à Paris Imprimeur libraire. 480p
2 Bourdeau L. -1894- Histoire de l'alimentation. Félix Alcan éditeur. 370p.
3 Dubois O. Sans date- Médecine nouvelle. Chez l'auteur -Paris735 p.
4 Dehaut-1889 - Manuel de médecine, d'hygiène, de chirurgie et de pharmacie domestiques. Chez l'auteur -Paris.
5 Larousse médical- 2004- nouvelle édition.
6 Lipp Rivers D. 2005 - High tea and low technology: 18 th century health care in the western and eastern words. In la république des lettres N° 17 ; - Broché (16 mars 2005) de Francis Assaf et Basil Guy.
7 Nouveau Larousse médical-1952 -,
8 Runner J. 1974- Le thé. Collection que sais-je? Presses universitaires de France. 126p.